LA PERCEPTION DU MAL. Chapt III.

Publié le par David de...

La pluie tombe drue comme une saignée d' artère. (Chapitres précédents : LA PERCEPTION DU MAL. Chapt I, LA PERCEPTION DU MAL. Chapt II). La visibilité est très faible malgré le ballet infernal des essuie-glaces. Je quitte la route et me gare au plus près de l'eau. De là, je vois la foudre au loin s'éloigner, traînant derrière elle un cortège de nuages noirs qui n'en finit pas.

J'aperçois une barque qui semblait m' attendre, accrochée à une espèce d'embarcadère en piteux état. Je sors du 4x4 de la demoiselle qui repose sur le siège passager. En à peine quelques secondes, je suis trempé jusqu' à la moelle; mes pieds s'enfoncent dans l'herbe et la terre gorgée d'eau. Je fais le tour, ouvre la portière et la jeune fille sans vie depuis près d'une heure, tombe dans mes bras.
Je traîne son corps près des marais. Je la hisse sur la barque, allume le projecteur sur son mat et m'éloigne lentement de la rive.
Les gouttes de pluie se brisent sur son visage au teint de nacre. Ses lèvres charnues d'un rose éblouissant et sa chevelure "rouille" brillent à l'éclat du projecteur. Ses yeux bleus aussi purs qu'un ciel sans le moindre nuage, sont grands ouverts.
Je ne peux la quitter du regard et rame à l'aveugle à travers les roseaux et les longues herbes. J' ai presque envie de me noyer avec elle alors, je plonge dans l'eau en l'emportant contre moi.
La pluie frappe si fort la surface de l'eau qu' elle provoque un sifflement dans mes oreilles. On croirait presque entendre un chant mortuaire...J'approche mes lèvres des siennes et d'un doux baiser, je lui souhaite bon voyage dans le royaume des morts et des alligators. Lentement son corps s'immerge et disparaît dans la houle qu'il a provoquée.
J'entends un écho du fracas de nos corps dans l'eau quelques secondes après et pense, terrifié, aux alligators: ils sont déjà prêts à passer à table. Je remonte dans la panique, sur la barque, essoufflé, en souriant de mon insouciance.
Le corps de cette jeune femme magnifique est désormais à la vermine et aux alligators qui infestent les marais, de se charger de la décharner ou de l'engloutir.
Son visage m' en rappelle un autre. Celui d' Angélique. On l' appelait Angel. Et chaque fois que j' écoute le morceau de Gainsbourg "Sorry Angel", je ne peux m' empêcher de me haïr. Si je ne lui avais pas demandé de partir, jamais elle ne se serait jetée sous ce train...
Ce souvenir me hante de jour comme de nuit, comme il doit hanter le conducteur de la locomotive, qui l'a vu se fracasser contre les phares, si prés de ses yeux.
A trop tenter le diable, on finit par lui faire offense

Sa longue jupe l'enveloppe comme une corolle. Puis à la robe d'une méduse aux soubresauts provoqués par le courant incessant que rythme la tempête. Les flots l'avalent et l'engouffrent dans les profondeurs comme un diner tant attendu.

Je me réveille,terrifié et tremblant.. Je regarde mes mains puis autour de moi: Viktor est affalé sur le fauteuil, la bave aux lèvres.
On tambourine à la porte. Je frappe la barre d'espace du clavier et le lecteur de musique s'interrompt. Il devait bien tourner en boucle depuis une dizaine d'heure, tant la capacité du disque "flash"m' a permis d' en stocker depuis toutes ces années. La musique marque les bons moments passés et nous permet de nous les remémorer.
Mes bons moments sont hélas dilués dans les pires. Les écouter revient à saisir le Beretta 9 mm dans le fond du tiroir du bureau et de me le coller sous la gorge. Caresser la détente jusqu'à avoir le courage (car il en faut), ou la lâcheté pour d'autres (car il faut être maso pour laisser durer), de mettre fin à la souffrance. Le coup de grâce, en quelque sorte.
Le joueur de tambour derrière la porte, cesse en même temps, son tempo. Le silence qui suit l'arrêt de la mélodie confirme qu' il a bien fait d'insister.
Je me lève, jette un oeil dans le miroir en me passant les mains dans les cheveux, me dirige vers la porte d'entrée et referme celle du salon derrière moi. Je reste immobile un moment, le temps que cessent les tremblements. J'ouvre la porte et "Miss Truc" apparaît:
-Je savais que tu reviendrais...dis-je, pour dire quelque chose, alors que j'en doutais.
- Ah oui? J' attendais que ta rage encore brûlante, perde quelques degrés.
- J'ai eu le temps de refroidir, depuis ce matin. J'ai apprécié que tu te souviennes de mon prénom. J'ai, hélas, oublié le tien...Ou peut être ne t'es-tu jamais présentée?
- Tu me fais beaucoup de peine, Armand. Tu ne me l'as jamais demandé. Et c'est vrai: je ne te l'ai jamais dit. C'est Catherine.
- C'était implicite: je me suis présenté; j'attendais que tu fasses de même.
- Désolée. Je suis tombée sur un salaud avant toi. Tu as pris à sa place, voilà tout, me dit-elle.
- J'ai fini par le comprendre. Mais au début, on comprend plutôt qu'on dérange.
- Navrée. Tu me laisses entrer?
- Pardon, je t'en prie, lui répond-je. Je referme la porte et la verrouille. Je saisis sa main et l'entraîne dans la chambre.
- Tu ne perds pas de temps, me dit-elle.
- Les malentendus de ce genre se règlent plus facilement au lit. Tu n'es pas d'accord?
- Je comptais sur un règlement de ce genre, justement... Mais j'aurai préféré...
- Quoi? l'interromps-je.
-Avec un peu plus de distinction, tu vois?
- Il est vrai que c'était plutôt distingué, hier soir! Et d'un romantisme... plutôt barbare, je dirais.
Elle me fixe d'un air désappointé, complété d'un rictus d'embarras puis, baisse les yeux en ajoutant:
- Bon. Ce n'était pas la grande classe, il est vrai. Essayons de rattraper le coup...
- Prête à me suivre? lui demande-je, un genou en terre, et lui saisis la main. Elle me prie de me relever en me tirant vers elle.
- Je vous suis, mon prince...
Je la regarde un moment, l' air de penser qu'on en a assez fait, puis fais volteface et reprends ma course.
A la porte de la chambre, je lève la main qui retenait la sienne, saisis la poignée et l'enclenche. Elle passe devant moi, s'introduit et m'entraîne.
Nos mains se séparent quand elle s'approche du lit et je referme la porte derrière moi.

Je suis le premier à ouvrir les yeux. Mes nuits ne se conjuguent plus avec le sommeil depuis bien longtemps mais avec la somnolence, quand l'effet des drogues a disparu.
Mes souvenirs sont un peu flous car ma nuit était plutôt "flash". J'enlace l'ange qui a tangué avec moi pendant la nuit et la couvre d'un doux baiser. Elle était si douce que je me surprends à envisager une nouvelle idylle qui me ferait oublier l'autre: Elisabeth. Déjà prise, engagée, indécise et odieuse, malgré elle. Mais je repense à ce qu'on m'a enseigné: après une rupture douloureuse avec un être aimé, celui qui suit n'est qu' une transition à une nouvelle histoire; de passer à autre chose, en d'autres mots.
Je quitte la couche discrètement et la chambre tout autant. Je prends le chemin du salon et ouvre la porte:
Viktor n'est plus là; il n'a laissé aucun mot mais je suis sûr que l'empreinte de son oreille est encore fraîche, sur la porte de la chambre.
Je vais à la cuisine pour y préparer le petit déjeuner. En m' y dirigeant, je repense au dernier mauvais rêve, en train de me débarrasser d' un cadavre. Je ne connais, ni n'ai jamais connu d'Angélique, heureusement. Pourtant, j' étais celui qui s'en repentait. Ce n'est qu'un rêve. Quoi de plus irrationnel?
Je sors le beurre et je descends à la boulangerie. Je commande quelques croissants, une baguette et remonte les escaliers aussi vite que je les ai dévalés.
Catherine est en train de déverser l' eau dans la cafetière à pressoir et me tourne le dos. Je m'approche, l' enlace et dépose un baiser dans le creux de sa nuque.
Elle paraît émue de cet élan de tendresse jusqu'à en frissonner et en sourire. Elle se retourne et me sert très fort dans ses bras. Nous restons un bon moment, serrés l'un contre l'autre.
Son étreinte se relâche brusquement, comme si on réveillait un somnambule. Elle cherche une cuillère en ouvrant le moindre tiroir sans que je ne cherche à l'orienter. Elle finit par tomber sur le bon, prend une cuillère et la plonge dans la cafetière en remuant très lentement. La mousse se révèle, onctueuse comme le moindre instant avec elle.
Je sens ses mains m'emprisonner dans une étreinte pleine de signification. Pourtant, ni elle, ni moi, n'osent y croire ni même, le suggérer.
Ni,ni,ni: nier sans cesse parce qu'on y a cru bien trop souvent et refuser de se tromper une fois de plus. On n'a plus l'âge de s'emballer comme deux adolescents.
On en a peut être plus besoin qu'envie. Et comme je dis toujours: la première impression, si elle est mauvaise, c' est souvent la bonne. Mais les conditions étaient réunies, d'un côté comme de l'autre, pour le paraître. Et les préjugés sont de biens peu fiables conseillers. Comme les prédispositions sont de mauvaises intuitions.
Ce sont ses lèvres à présent, qui flattent ma nuque. Des lèvres qui se dirigent vers mon oreille pour chuchoter. Je la sens prendre son souffle, sans prononcer un seul mot. Elle relâche son emprise et retourne à la cafetière. Elle saisit le pressoir, l'applique et emprisonne le marc au fond du récipient.

Il est déjà 10h 17. Deux heures de plus qu' hier, exactement, après le coup de téléphone. J'ai oublié de demander à Catherine si c'était elle. Mais elle vient de partir précipitamment après avoir vu l'heure si tardive, bien que nous soyons levés depuis près de trois heures. J'allais faire de même mais en ouvrant la porte, deux hommes sont présents sur le palier, costume trois pièces et cravate noire. L' un blanc, l'autre noir. Leur tenue est familière...Le FBI.
En un éclair, le même frisson que dans mon cauchemar, la même vision du corps sans vie de Cassandra, crispent en une milli-seconde, mon visage et mon corps tout entier.
Les flics n'ont pas l'air surpris, certainement habitués à une telle réaction devant leur cravate noire et leur costume, presque un uniforme sans gallon, ou peut être simplement convaincus, d'avoir trouvé leur client:
- Armand Drake? me demande le plus petit des deux.
- Gagné.
- Agent spécial Chain et Lock. Vous avez certainement quelques instants à nous accorder.
- J'ai tout mon temps, réponds-je. Ma promenade peut attendre, je présume. Que s'est il passé de si grave?
- C'est au sujet de Cassandra Andrade: elle a disparu, il y a près de 36 h.

Suite: LA PERCEPTION DU MAL. Chapitre IV.

David de...